La Petite Trotte à Léon (2009)

Publié le par Cybernette

Voici un ultra d’un chic épatant ! Ce n'est pas une compétition, juste une ballade de 240 km et 20000 mètres de dénivelé environ qui porte le nom d’un certain Léon, boulanger à Champeix, et surtout grand spécialiste de la tarte aux abricots.  Il n’y a pas de vainqueurs, ni de prix à gagner, juste l'honneur avec un grand H. La classe non ? La finir c’est comme appartenir à un club très sélect. Neuf mois avant l’événement, Il faut constituer une équipe avec au moins deux finishers de l’UTMB, s’accorder sur la stratégie à mettre en place, connaître les forces et faiblesses de chacun, les reconnaître et les accepter, faire des concessions. Tout cela pour espérer finir à trois dans la capitale de l’alpinisme, acclamé par la foule.

Dans les faits, les premières équipes se tirent la bourre et beaucoup rêvent d’un podium alors qu’il n’y a pas classement. Si l’absence de classement n’exclut pas un certain esprit de compétition, certaines équipes vont plus vite que d’autres. Une, en particulier, décroche, cette année, le pompon de la vitesse. Avec des pointes à 40 km/h pour grimper les cols ! Vous l’aurez compris, cette équipe a triché. Facile d’éteindre la balise GPS et de repartir ni vu ni connu. Le clou est qu’à l’arrivée, les explications les plus invraisemblables ont circulé. L’une d’elles m’a bien fait rigoler : c’est la faute au partenaire Garmin qui aurait mis une mauvaise trace dans le GPS de l’équipe visée. Cela signifie que l’équipe aurait suivi le parcours sur l’écran sans regarder les explications du roadbook papier, détaillant chaque point d’intérêt, ni même les cartes. Impensable. Les fautifs ont donc utilisé des bagnoles. Cela m’est arrivé une fois de faire du stop avec mon pote Antoine sur le raid Valencia-Montpellier…pour revenir au marquage précédent (2 km) et découvrir comme une maline que nous étions dans la bonne direction ! On est donc reparti… à pied. Le but n’était pas de faire un podium puisque l’on était toujours dernier mais d’arriver à l’heure pour la soupe ! Sur la PTL, en revanche, la volonté de gruger semble plus manifeste. Mais revers de la triche, les coureurs boiteux – dont je ne citerai pas les noms puisqu’ils sont déjà marqués au fer rouge – ont été trahis par leur balise. Cette dernière a gardé en mémoire leur trace. Leur équipe a été disqualifiée. Cet événement montre en tout cas que les organisateurs doivent se montrer vigilants. Même s’il n’y a pas d’enjeu. Rien de pire que l’injustice pour des concurrents honnêtes. Le concept de la PTL gagnerait, par ailleurs, à être clarifié sur certains points. En cas de doute, qui fait office de « loi », le tracé sur la carte ou le GPS ? Qu’est-ce qu’un finisher ? Quel podium à l’arrivée ? (sachant que tout le monde en a bavé) Jusqu’où va l’assistance extérieure ? (avant la montée au col du Névé de la Rousse, des équipes ont dormi confortablement dans des campings car affrétés par leur famille et d’autres dans des granges de fortune). Cela dit, il ne faudrait pas non plus enfermer la PTL dans un carcan trop rigide, au risque de perdre l’esprit outdoor qui en fait tout son charme. N’oublions pas que le concept vise à revenir aux sources aventureuses du trail. Côté aventures, nous avons été servies.

 

Avant de partir, j’avais deux objectifs : goûter à la tarte aux abricots de Léon à Champeix et refaire le monde. Pour la tarte, j’avais le temps de saliver (170 bornes à se cogner). Pour le reste, en cette période de morosité ambiance, la PTL est un excellent remède à la crise. Pendant cinq jours, nous allions pouvoir lancer de nouvelles idées, vider notre stock de blagues, dire du mal des mecs, et penser évidemment aux autres ultras à faire après la PTL. Pour ouvrir le chemin et éclairer la route, nous avons Claude Denaix, dentiste au caractère bien trempé, orienteuse de choc et bonne grimpeuse. Un peu chieuse et râleuse sur les bords, mais une bonne chieuse bien piquante au cœur gros comme un chou-fleur. Suit ensuite, Cathy Cordary, la bonne copine embarquée dans cette aventure au dernier moment, (cause défection de notre équipier) pas très rassurée mais toujours partante dès qu’il s’agit d’échapper au mammouth (elle travaille au Ministère de l’Education Nationale et rêve de monter une boulangerie à Namché Bazar au Népal – si quelqu’un a des plans !). Enfin, moi-même, journaliste high-tech et sport outdoor au Point. J’assure l’ambiance et le portage : tente, les batteries, frontale Ultra de Petzl, piles, vivres… Soit 12 kg sur le dos.

Avec ce poids, je vais finir pliée en deux. En fait, j’ai embarqué dans ma hotte une seconde paire de chaussure, et pas la plus légère : la Millet GTX cramponnable (800 grammes l’unité). Je me demande ce que je vais bien pouvoir cramponner. Mais vu la carrière à ciel ouvert qui nous attend entre le col de l’Enclave et le col de Bassa Serra, je préfère opter pour le look montagnard bavarois : chaussette « booster » et grosse chaussure d’alpinisme. Je me réserve le petit chapeau vert orné d’une plume de faisan pour une autre occasion. C’est vrai que mon sac est un peu lourd. J’imagine le calvaire si j’avais choisi de prendre des rangers. Sur la ligne de départ, les badauds soupèsent mon sac et me félicitent, prêts à me demander un autographe. Ils doivent me prendre pour une haltérophile. Un confrère du magazine Endurance me casse le moral : « mais comment tu vas courir avec ce sac ?». J’ai envie de lui mettre le menton au niveau des narines.  D’autant que la météo n'invite pas à lézarder dehors. Cette première nuit se déroule, en effet, sous une pluie soutenue, agrémentée de bons coups de pétards. RAS jusqu’au Col de l’Enclave. Il est 7 heures.

C’est à partir de là que les choses sérieuses commencent, ici que l’on pénètre au cœur de la haute-montagne avec ses pierriers, ses pentes schisteuses, ses éboulis, ses guêts à traverser, ses câbles, ses chaînes à saisir. Ici que je commence à ne plus avancer ! Les deux autres me distancent. Lorsque je rejoins le refuge Robert Blanc, Claude savoure déjà un plat de pâtes.  Qu’elle savoure car le montant des victuailles est salé ici. 10 euros pour 2 parts de tarte à la pomme. A ce prix là, l'année prochaine, je demande à Ladurée de livrer des macarons.

 

Mes grosses alpines commencent sérieusement à me faire mal et j’avance de moins en moins vite. Et dire que je fais des bancs d’essai à longueur d’année pour aider mon lectorat à choisir le top de la chaussure de randonnée et de trail. Gros coup de flip après le col de la Seigne pour le passage un peu délicat juste après le col de Chavanne.. Claude m’encorde. Je vois dans son regard que la moutarde lui monte au nez. Elle doit se dire, pourquoi diable, n’avance t-elle  pas. Cathy est, en effet, le maillon faible de l’équipe mais elle suit sans moufter. Je vis un enfer. Il est 20 heures lorsque nous arrivons au Petit Saint-Bernard. Je ne rêve que d’une chose : repartir avec Jean-Claude Marmier, si bien attablé ce soir- là dans l’auberge. Vers 22h30, il se met à pleuvoir comme vache qui pisse. Nous avons prévu de repartir dans une heure. Un bénévole pénètre à l’intérieur de la tente et nous propose une tasse de café. Une équipe vient de rebrousser chemin. On part sous la flotte et je n’avance toujours pas. Direction le col de la Louis Blanche et sa partie hérissée de blocs instables.

 

Je redoute ce moment quand notre meneuse aguerrie va me demander de lui dire où l’on se trouve et dans quelle direction il faut aller. Comment lui expliquer qu’un GPS de randonnée est dépourvu de navigation assistée par guidage vocal. Ici, il n’y a pas de sens interdit, pas de cédez le passage, pas de feu rouge, juste des cairns invisibles la nuit. Evidement, lorsque ce moment arrive, elle n’a pas fini sa question que déjà je l’entends pester contre mon manque réactivité et contre cet appareil forcément inutile. Comment lui expliquer qu'avant d'utiliser un GPS, il faut l'allumer. Quoiqu’il en soit, je la laisse s'époumoner à brailler. Tant qu’elle n’aura pas trouvé la solution pour nous sortir du merdier de la Louis Blanche, ça n’ira pas. Cathy, malvoyante (genre 2 dixième à chaque œil) tente tant bien que mal de marcher dans mes pas. La fatigue se fait sentir et les premières hallucinations apparaissent. Lorsque le jour se lève, nous pouvons visualiser l’impressionnant amoncellement de blocs. De nuit, c’est encore pire. L’arrivée au refuge Deffeyes se fait attendre mais l’accueil est super, la vue magnifique. De quoi recharger les batteries avant l’interminable descente sur Morgeix.

 

Morgeix où je me débarrasse, sans me faire prier, des mes godillots dans mon sac d’allégement. Un espace, avec des lits, a été aménagé au-dessus du gymnase. Il fait bon et le silence quasi religieux invite au repos. Départ vers 20 heures pour atteindre le col Licony et surtout le refuge Luigi Pascal, construit à la mémoire de ce guide disparu tragiquement lors de l’ascension du Mont-Blanc depuis le glacier du Miage. Soit 2000 mètres de dénivelé. Le début est agréable, la fin un peu plus technique et inhospitalière. La fatigue déforme tout. Le moindre terrain accidenté oblige à nous concentrer davantage.  Nous évoluons sur une arête au milieu des pare-avalanches. Il fait froid et mieux vaut ne pas regarder sur les côtés. L’arrivée au refuge vers 1 heures est un moment surréaliste. On y retrouve d’autres concurrents mais surtout deux mères de famille avec leur chien et leurs trois enfants. Nous sommes une vingtaine dans un espace prévu pour 12 places. C’est ambiance refuge du Goûter aux heures de pointe. Claude installe sa tanière sous la table et va à la pêche aux couvertures.  Pas gênée, elle en récupère une sous la tête d’un concurrent qui l’utilise comme oreiller. Le gars râle mais pas démontée, elle lui fait bien comprendre que ça caille.  Et elle recommence, un peu plus tard, en chipant celle de son pote qui est parti satisfaire ses besoins vitaux. Lorsqu’il revient, le gars est furax. Cathy se love quelque part entre l’évier et la table principale. Et moi, j’investis le couloir et m’enveloppe dans une couverture de survie, digne de Star trek. J’ai opté pour un modèle 200 g plus résistant mais dont l’inconvénient est de générer de l’humidité. Le mieux aurait été de prendre du Thermolite.  Lorsque des lits se libèrent, je fonce à l’étage. Le réveil est un pur bonheur. Nous sommes béates d’admiration et de crainte face à ce site désolé mais grandiose. Puis je remplis mon sac d’hydratation avec l’eau du lac, un peu trouble certes. Direction col du Sapin et Arnuva. Il est 6h30.

 

Notre retour à la civilisation s’amorce lorsque nous croisons le parcours UTMB et faisons irruption au sein de la CCC. Nous sommes assez fières d’intégrer le peloton, avec nos 120 km sous la semelle. Seul problème : le départ de la CCC a été donné depuis heures, on avance comme des limaces et nous sommes entrain de créer un gros embouteillage sur l’étroit chemin qui mène à Arnuva. Avec nos sacs d’aventurières-trekkeuses, une traileuse nous prend pour des randonneuses et nous demande de nous pousser sur un air très comminatoire. La riposte des trois poulettes névrosées au stade terminal (le soleil tape et la fatigue est éprouvante) est immédiate. La provocatrice essuie une salve de fléchettes verbales, Puis l’ambiance se détend lorsque les concurrents qui nous collent au train pigent que nous sommes sur la PTL Les applaudissements, les mots de sympathie et d’encouragement pleuvent de toutes parts. A Arnuva, un bénévole nous informe que nous n’avons pas le droit au ravitaillement. Le roadbook mentionne le contraire. On s'attable, on se restaure et on file, pressée de fuir la foule pour retrouver la solitude des grands espaces. C’est sûr qu’après le col du Ban Darray, à part les vaches et les moutons, y a pas grand monde. Un épais brouillard humide enveloppe la vallée. Il est 17 heures, l’horizon est bouché, les températures chutent. Cathy, affaiblie et affectée par des ampoules au pied qui lui font de plus en plus mal peine à avancer.

Nous avons prévu de dormir chez l’habitant….si on en trouve un ! Claude a repéré des chalets sur la carte. C’est un berger français, Guillaume 24 ans, qui nous offre le gîte et le couvert. Une aubaine. Plus confortable que la remise où est stocké le bois de chauffe. Guillaume préfère dormir dans son camping-car plutôt que dans la maison trop humide mise à sa disposition par le propriétaire du troupeau. Il nous la prête donc pour la nuit, remet l’électricité, nous fait des pâtes et nous offre du saucisson. Cela fait plusieurs jours que Guillaume, en quête d’une bergère, assiste au défilé des frontales, s’amuse d’en voir éparpillée un peu partout alors que le chemin pour rejoindre le col du Névé de la Rousse est juste en face, et s’étonne de l’état de fatigue inquiétant de certains concurrents. Nous repartons vers 3 heures. Je ne dors pas de la nuit mais je suis en forme. Disons que je récupère dans l’effort. En posant son pied à terre, Cathy tombe et se met à pleurer. Les ampoules se sont infectées. Je connais la douleur qu’elle doit ressentir. Claude que la fatigue mentale et physique rend un peu hystérique me demande de gérer la situation. En cette seconde partie du périple, c’est à mon tour d’assurer. Je sors éosine, seringue, compresse, compeed et élastho et m’improvise infirmière. Puis, je lui impose un antalgique. Elle renacle mais je ne lui donne pas le choix. Nous décidons d’emprunter la variante et d’éviter la descente du col du Revedin. Plus long de 7 km mais moins casse-pattes.

 

Lors de notre arrivée à la cabane de Tsissette pour y prendre un petit-déjeuner tant attendu, après une nuit passée sous un brouillard très humide, les deux jeunes demoiselles, étonnées de nous voir arriver un jour après tout le monde, nous annonce que le petit déjeuner est réservé à ceux qui dorment au refuge. Là, je vois le sang de Claude ne faire qu’un tour et envoyer ces deux pauvres malheureuses six pieds sous terre. On veut juste du pain, du beurre, de la confiture et du café. Vœux exaucés. Cathy baigne dans une sorte de quatrième dimension. Je la vois maigrir à vue d’œil. Claude éclate en sanglot lorsque sa fille, Laura, également en pleurs, lui annonce au téléphone qu’elle a abandonné sur l’UTMB. Du coup, Claude attrape une tartine, la beurre et la recouvre d’une tranche de lard. Après avoir englouti trois corbeilles de pain, on prend la direction de Champeix pour rejoindre le parcours de l’UTMB. Claude peste contre les clôtures électriques. Les Suisses quadrillent leurs prairies un peu à outrance. Même les chemins de randonnée sont barrés par des fils électriques. Ras le bol ! A Champeix, c’est un mélange de 14 juillet et de fête à Neu-Neu  qui nous attend. Musique, applaudissements, kermesse. Bizarre mais pas désagréable, d’arriver de jour, dans cette zone de repos, qui vers minuit ressemble davantage à la cour des miracles. Les podologues remettent Cathy en selle mais restent réservés pour la suite des évènements.

 

La montée à Bovine est une ballade. La descente sur Trient, en revanche, un enfer pour Cathy. Six kilomètres. 3 heures. Je ne sais plus quoi lui raconter pour lui occuper l’esprit. Combien de temps va-elle tenir ? Claude, dans un état de nervosité extrême, cristallise autour du changement des piles de la balise GPS. J’ai beau lui expliquer qu’il y a encore du jus, elle ne veut rien entendre. Elle me tend les piles à deux reprises puis continue le chemin. On la récupère plus bas entrain de dormir dans un fossé. L’arrivée à Trient sonne comme une délivrance pour Cathy. Elle n’est pas confortablement installée contrairement à Claude, débrouillarde née, qui a su dégoter un matelas et dort immédiatement, mais son calvaire connaît un moment de répit. Elle ne repartira pas avec nous. Elle pleure mais c’est mieux ainsi. Claude, frigorifiée, tendue comme une corde à linge, me presse pour repartir. Avant, je montre mon GPS qui a planté à un responsable de Garmin. Hors service, le gadget. Et pourtant, j’en ai passé des heures à installer, désinstaller des logiciels de cartographie, et à insérer des traces et des points qui ne voulaient pas s’afficher. Je rattrape Claude, partie en titubant. Direction Vallorcine puis le chalet Buet où Laura et Xavier nous offrent des crêpes. Puis l’interminable montée de la Tête aux Vents. Seconde pose crêpe puis petit roupillon de 15 minutes dans les myrtilles avant la descente sur la Flégère. Nous avons, en effet, dormi en tout six heures en cinq jours, pratiquant le micro sommeil comme les marins. Dix minutes, un quart d’heure par ci par là. Ça fonctionne du feu de dieu.

 

Enfin, Chamonix, dont l’ambiance, survoltée, est digne de l’investiture d’Obama. Nous n’avons pas réalisé le parcours en entier. Il nous manque ce satané Buet et la fenêtre d’Arpette. On s’en fout. Nous avons vécu une expérience transcendantale qui dépasse le cadre du trail. Celle de trois folldingues immergées en pleine nature jusqu’au bout des ongles, libres comme l’air, seules au monde, solidaires et grandes gueules. Cathy, complètement métamorphosée, est allée jusqu’au bout d’elle-même. Claude a desseré les dents et jubile. Nous sommes les reines du pétrole. Seul regret : je n’ai toujours pas goûté à la tarte aux abricots de Léon. Je suggère qu’elle figure désormais sur les ravitaillements à l’arrivée !

nathalielamoureux@gmail.com


Vidéos réalisées avec un Nokia E71


Publié dans ULTRAFOND

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